En un clic:
① Une réforme limitée par les crises
② L’échec de l’Europe sociale
③ Un risque de chômage technique
④ Une carte à jouer pour E. Macron
Mots clés:
Conseil de l’Union européenne, Conseil européen, Gouvernements européens, Elections européennes 2019, Macron, Socio-démocrates européens,
En bref:
C’est historique : les partis traditionnels de gauche et de droite sont en minorité parmi les gouvernements européens. Assaillis par les centristes et libéraux, surpassés par les europhobes, leur mise en infériorité est sans appel. Le Conseil, institution de décision de l’Union européenne, est plus que jamais divisé. Deux scénarios sont alors envisageables, celui d’un blocage pur et dur, ou celui d’avancées concrètes et pragmatiques. A moins qu’Emmanuel Macron ne parvienne à tirer son épingle du jeu.
L’histoire européenne vit en arrière-plan un moment de profonde mutation : les partis classiques de droite et de gauche sont en infériorité dans l’Union européenne. La constitution prochaine d’un gouvernement anti-système en Italie constitue le marqueur fatal de cette transformation. En effet, les chefs de gouvernements de gauche et de droite classique deviennent minoritaires à la fois sur les plans numérique et démographique. Seulement 13 chefs de gouvernement sur 28 sont issus de leurs rangs, lesquels ne représentent plus que 42% des citoyens européens. La recomposition politique en cours dans le paysage politique français se manifeste également au niveau européen. Elle questionne ainsi les forces de compromis sur lesquelles les institutions européennes reposent.L’Union européenne est-elle alors devenue irréformable et ingouvernable, ou ne l’est-elle finalement pas depuis 20 ans ?
Droite, Gauche, 20 ans pour presque rien
Au cours des 20 dernières années, démocrates-chrétiens et socio-démocrates ont tour à tour été en capacité de réformer en profondeur l’Union européenne. Chaque tendance a pourtant engendré deux échecs massifs qui ont pour nom le traité de Nice et le traité de Lisbonne. L’absence de compromis au sein-même de chacune de ces mouvances a handicapé l’Europe deux décennies durant. Elles ont en effet failli à répondre ensemble à des thématiques toujours d’actualité : la gestion de l’asile et des flux migratoires, et l’Europe sociale.Data-visualisation : Découvrez année après année les forces dont sont issus les dirigeants de gouvernement depuis 20 ans ainsi que leur représentation en parts de population, et donc de voix au Conseil. (Avant 2018, force politique à la tête du pays au mois de janvier)
Le boulet de la crise économique
De 2009 à 2012, la droite est majoritaire aux deux-tiers avec à sa tête deux leaders forts en les personnes de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel. Rapidement pris dans les tumultes de la crise des dettes souveraines, l’Europe de droite ne parvient ensuite pas à avancer un agenda politique au-delà du domaine économique.L’absence de réforme de l’Union retentit de manière abrupte dans les années qui suivent. Les mécanismes européens apparaissent comme inadaptés à une Union européenne à 28 pays, laquelle a pour frontières terrestres la Turquie, l’Ukraine et la Russie. L’augmentation des flux de migrants est gérée de manière chaotique, dans la maladresse et l’urgence. En l’absence de réponse commune, les politiques migratoires et d’asile s’arrêtent souvent aux frontières nationales, avec un égoïsme froid. L’enjeu est même le plus souvent assimilé à des préoccupations d’ordre sécuritaire ou identitaire, sans que l’Union ne parvienne vraiment à offrir des solutions.
Le fantôme de l’Europe sociale
De 1999 à 2002, les socio-démocrates sont au sommet de leur puissance, régnant alors sur près de 85% de la population européenne. Les avancées sociales furent pourtant quasi-nulles. Et pour cause, dès le début de leur hégémonie européenne, Le socio-démocrates allemands et britanniques, très vite rejoins par les italiens, déclarent renoncer à une protection sociale continentale.
Présenté en 1999, le programme de « troisième voix – nouveau centre » dénonce les anciennes formules keynésiennes et socialistes . 1Retrouvez le texte et une analyse sur manifester sur le site de la fondation Jaurès : https://jean-jaures.org/nos-productions/blair-schroder-le-texte-du-manifeste-les-analyses-critiques Leur ambition est alors très claire : flexibiliser les marchés du travail, favoriser à tout prix le retour au travail sur l’accès aux prestations sociales, rendre les entreprises plus compétitives et favoriser l’adaptation du travailleur au marché par la formation professionnelle. Cela interdit la mise en place de règles et de restrictions pour des entreprises. L’heure n’est pas non plus à la protection de l’emploi et des plus précaires. Aux élections européennes de 1999, les socio-démocrates sont écrasés dans les urnes.2019 : Sous les pavés, la plage ?
La grande diversité des gouvernements et des parlements des nations d’Europe relève d’un défi inédit pour l’Union européenne. Et ce très concrètement puisque les voix au Conseil sont désormais divisées, alors que nombre de décisions nécessitent une majorité des deux-tiers. Par ailleurs, la coordination multilatérale au sein des factions politiques européennes perd de son poids. L’Union européenne et ses sommets informels deviendra alors le principal forum de discussion entre les gouvernements européens. Cela peut résulter en deux tendances : un blocage total ou au contraire à des avancées concrètes.
L’Union au chômage technique ou pragmatique
Toutes les forces étant désormais minoritaires, plusieurs scénarios sont possibles. Le premier est celui d’un blocage total. Les gouvernements eurosceptiques, ou même europhobes, à la tête de l’Italie, de la Pologne et de la Hongrie, pourraient fonder des coalitions de blocage. Et si cette possibilité ne se réalise pas, les sujets de consensus seront ainsi intégralement restreints et plus probablement fondés sur les domaines de compétence exclusive de l’Union (douanes, commerce, concurrence, l’euro, conservation des ressources biologiques de la mer et certains accords internationaux).
Autre option, qui n’est cependant pas incompatible avec la première : l’Union européenne est réduite à quelques thématiques. Au vu des préoccupations actuelles, cela concernerait très certainement la gestion des frontières et des flux migratoires ou la coopération en matière de terrorisme. Mais sur ces domaines encore, le risque est de limiter ces problématiques à une thématique purement sécuritaire.
Emmanuel Macron, faiseur de roi
E. Macron : Ce qui me rend optimiste, c’est que l’histoire que nous vivons en Europe redevient tragique.
Une autre option, très politique et institutionnelle est cependant possible, et serait à l’avantage d’Emmanuel Macron. Imaginons l’hypothèse suivante : après les élections de 2019, l’ensemble des forces politiques classiques sont en situation de paralysie. Elles sont en incapacité de former une coalition au Parlement européen et de nommer un président de la Commission européenne. En France, le jeune mouvement de La République en Marche, n’est affilié à aucun parti européen. Dans cette situation assez probable, le Président de la République française serait en mesure de rassembler autour de son projet, puis de négocier un déblocage.
Si les mouvements traditionnels perdent leurs moyens d’action, la République en Marche serait certainement en position de force pour rassembler des mouvements du centre et de la recomposition politique européenne. Dans l’opportunité de constituer une force pivot, elle pourrait développer un agenda de réforme l’Union européenne. Cela pourrait en partie inclure les ambitions d’Emmanuel Macron pour plus de solidarité et de contrôle démocratique dans la zone euro. 2Emmanuel Macron a semble-t-il pleinement théorisé la situation à venir dans une interview à la NRF : “Ce qui me rend optimiste, c’est que l’histoire que nous vivons en Europe redevient tragique. L’Europe ne sera plus protégée comme elle l’a été depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Ce vieux continent de petits-bourgeois se sentant à l’abri dans le confort matériel entre dans une nouvelle aventure où le tragique s’invite. […] Notre paysage familier est en train de changer profondément sous l’effet de phénomènes multiples, implacables, radicaux. Il y a beaucoup à réinventer”.
La sanction nationale se transformera certainement en sanction européenne
La grande diversité des gouvernements européens est une problématique de plus pour l’Union européenne. Les conditions exceptionnelles dont ont profité la droite et la gauche ne se reproduiront certainement pas dans un avenir proche. Ceci d’autant plus qu’on peut s’attendre à la reproduction de la sanction nationale dans les urnes européennes, dans tout juste un an. Cela pourra mener à une instabilité à la fois au Parlement européen et à la Commission européenne. Une nouvelle crise institutionnelle européenne est alors, sans doute, à l’horizon.
[…] ne serait pas anodine pour les intérêts français, à moins que la dynamique ne soit la même dans les autres pays européens. Pourtant, les dix-sept formations françaises au Parlement européen restent en jeu, […]